Partie de chasse entre Lieutenante et Chef. (privé Source des Ames et Rubis')

Revoilà cette bonne vieille amie l'aube qui nous avait quitté la veille juste après le levé du soleil. Elle était là, illuminant le ciel encore assombri par la nuit. L'aube et le Crépuscule sont les seuls instants où la nuit et le jour se rencontrent, et ce sont les moments que je préfère. Avec Pétale de Fée, mon ancienne compagne, nous observions souvent le lent levé de soleil, ou alors son couché majestueux. Mais depuis sa mort, mon regard ne s'était plus posé sur ces instants magiques. Je les avais fui, évitant ainsi de douloureux souvenirs. La guerrière était morte depuis plusieurs lunes déjà, mais il existe des blessures que l'on ne parvient pas à effacer.

Peu avant l'aube, lorsque la nuit était encore noire, j'avais grimpé sur le grand rocher qui surplombait le promontoire et abritait ma tanière. J'avais regardé l'aube pointer, illuminer peu à peu le ciel dans un ballet silencieux. J'étais resté immobile une bonne heure durant, observant le ciel, l'horizon, quelques oiseaux. J'avais savouré les odeurs atténuées par l'air glacial, remplissant mes poumons d'un air pur et frais. Le froid était mordant, mais mon pelage me protégeait bien. Je ne craignais rien, savourant le calme et la tranquillité de la rencontre ente la nuit et le jour.

Quand j'entendis du bruit, en contre-bas, et aperçus ma Lieutenante, Source des Âmes, je soupirai. Nos relations n'avaient pas été très facile, avant que je ne devienne chef et la choisisse pour me seconder, mais elle me respectait et je la respectais ; le clan passait avant les confrontations personnelles. Je restais encore là quelques minutes, savourant les douces teintes roses et or de l'horizon. Et mes pensées se tournèrent vers Étoile de Rêve. Étoile de Rêve qui avait été ma chef, mais également une amie, mon mentor et la meilleure conseillère que je n'ai jamais vu. Elle m'avait accepté tel que j'étais, avec mes qualités et mes défauts, au sein de son Clan, et mieux encore, elle avait eu suffisamment confiance en moi pour me nommer Lieutenant, alors que je pensais ce choix inimaginable !

Je balayai ces souvenirs d'un mouvement de queue, me levai et sautai sur le promontoire avant de sauter au sol. Je m'étirais longuement, avant de m'assoir pour faire ma toilette. Le Clan manquait de gibier en cette saison froide qu'était l'hiver, et il valait mieux aller chasser plutôt qu'attendre la fin de l'aube à ruminer de noires pensées. Mais bientôt, j'entendis des pas, bien que ténus. Je relevais la tête, cessant ma tâche, pour que mon regard puisse se poser sur la jolie chatte au pelage gris rayé d'une teinte plus sombre.

- Bonjour Etoile du Rubis Enflammé. Belle mâtinée, n'est-ce pas ? Accepterais-tu de m'accompagner à la chasse ?

Journée magnifique, en effet. Quand le soleil sera levé, le ciel sera d'un beau bleu profond, et aucun nuage n'étais en vue. La neige était froide mais poudreuse, il était donc plus agréable de marcher dedans que dans une neige lourde et mouillée. Les premiers rayons du soleil apparurent à l'horizon, et parvinrent à atteindre la clairière. Mon pelage s'embrasa aussitôt, d'autant plus que le matin, le soleil brillait de milles feux. J'agitais mes moustaches, ravi de cette soudaine douce chaleur et répondis à la lieutenante :

- Bien le bonjour. Magnifique, en effet, et j'accepterai avec grand plaisir. Mange quelque chose, je t'attends à l'entrée du camp.

Bien entendu, j'avais remarqué qu'elle n'avait rien mangé, mais si elle n'avait pas faim, je ne la forcerais pas ; pourquoi priver le clan d'un repas ? Comme dit, je me dirigeais vers l'entrée pour l'attendre.

Mais Source des Âmes faisait passer le Clan avant elle, elle ne voulait pas manger avant que tout le monde soit rassasié. C'était en partie pour cela que je l'avais choisie en tant que lieutenante ; elle se privait pour le clan, elle serait prête à mourir pour lui. C'était le genre de chats dont le Clan avait plus que tout besoin. Elle me rejoignit donc aussitôt, sans bruit. Mon pas était léger, mais le sien était entièrement silencieux. Je l'avais souvent noté, quand elle était apprentie, mais je pensais qu'en grandissant elle perdrait cette discrétion en devenant plus lourde. Mais non, elle était toujours comme un fantôme qui glissait sur la neige. Quoi qu'on ne pouvait voir un fantôme, encore moins lui parler, sans un véritable don. Je cessais donc là ces pensées, également parce que Source des Âmes prenait la parole.

- As-tu une proposition quant à l'endroit où nous allons chasser?

Je pris le temps de songer un instant aux habitudes de nos proies. Les plus facilement repérables en cette saison étaient les lapins. Hors, ils ne trouvaient pas beaucoup de nourriture en forêt, et donc s'aventuraient régulièrement dans les champs pour fouiller les quelques plantes survivant au froid, sous la neige. Sinon, ils nous restaient les oiseaux, mais ils s'aventuraient rarement jusqu'au sol, et se montraient plus que méfiant en cette période. Ils se savaient en danger et faibles en cette saison. Je fis part de mes songes à la lieutenante :

- Le mieux serait de se rendre dans les champs, nous y trouveront sûrement un lièvre ou deux, venus chercher de quoi se nourrir.

Je n'attendis pas sa réponse pour sortir du camp ; plus vite on partirait, plus vite le clan serait nourrit et plus vite nous pourrions faire des réserves pour les jours à venir. Les sapins étaient couverts de neiges, autours de nous, et les arbres dénués de feuilles gardaient un air rassurant malgré leur aspect un peu étrange. La forêt, c'était mon endroit préféré. Le couvert des feuilles, en été, avait quelque chose de rassurant, et grimper tout en haut du plus haut des arbres pour voir l'horizon était tout simplement magique. Je n'étais pas né ici, et pourtant je semblais être celui qui remarquais le mieux les beautés de chaque endroit. Peut-être justement parce qu'autrefois, je ne connaissais que le mobilier des bipèdes, qui laissait franchement à désirer.

Nous traversâmes la forêt enneigée en une longue marche silencieuse. Source des Âmes avait de la chance ; elle était silencieuse dans sa démarche et possédait un pelage pouvant se confondre avec une ombre sur la neige. Moi, mon pelage était la première chose qu'on remarquait, quand je chassais... Je me débrouillais bien, néanmoins, et parvenais à passer inaperçus, mais mes efforts étaient doublés par rapport aux autres félins. La seule saison dans laquelle je passais inaperçus, c'était l'automne, là où les feuilles prenaient des teintes comparable à mes poils. Tout au long du trajet, aucune odeur récente ne nous parvins, mais je sentis bel et bien quelques effluves lointaines. Néanmoins, en arrivant dans les champs, Source des Âmes remarqua des traces dans la neige. D'après la forme, mais aussi d'après l'odeur, c'était un lièvre. J'indiquais à la lieutenant de suivre cette piste ; je venais d'en flairer une autre, plus discrète mais récente. Une mésange. Je me frottais à la neige, rendant mon pelage parsemé de blanc et donc plus discret, et suivis l'effluve sans bruit.

Elle était là, picorant aux côtés d'un rocher gris sombre. Elle était maigre, petite, mais semblait savoureuse. Je me fis encore plus discret, prenant garde à chacun de mes mouvements, à chaque souffle de vent. Mon odeur ne lui parviendrait pas, mais si je faisais du bruit, ce dernier l'alerterait. Ce fut donc silencieusement que je m'approchais, évitant de faire craquer la neige sous mes pas. Et bientôt, je bondis, silencieux comme une ombre. Elle tenta de s'envoler, mais je lui tombais dessus tel un rapace pour lui briser les os d'un coup de dent. Elle mourut immédiatement ; tant mieux, je ne tenais pas à la faire souffrir. Satisfait, je l'emmenais, revenant sur mes pas.

Source des Âmes devait toujours suivre sa piste, car elle n'étais pas encore de retour là où nous nous étions séparés. J'entrepris donc de creuser un trou dans la neige, puis, plus difficilement, dans le sol gelé. Je déposais ma prise au fond, mais ne le rebouchais pas immédiatement, comptant sur la lieutenant pour ramener une proie et l'y déposer également. J'attendis ensuite silencieusement ; il était inutile de faire fuire toutes les proies des alentours. Le soleil était à présent entièrement apparut au-dessus de la montagne, et embrasait doucement mon pelage, produisant une légère chaleur qu'on aurait espéré plus présente.

Source des Âmes me rejoignit, un lièvre bien maigre dans la gueule. Il suffirait néanmoins à nourrir deux anciens ou deux apprentis. Je l'aidais à l'enterrer avec ma proie, et elle se lécha les babines encore tachées de sang.

- Jolie prise. Commentais-je pour trouer le silence planant.

Ma voix n'avait été guère forte, juste suffisamment pour qu'elle m'entende. S'il y avait des proies dans les parages, mieux valait ne pas les faire fuir ; nous en avions besoin. Nous nous remîmes en marche, silencieux comme deux ombres dans cette immensité enneigée. Il n'y avait pas grand chose d'intéressant, à l'horizon, le plus intéressant étaient les millions de cristaux qui recouvraient le sol. Ils scintillaient au soleil comme des diamants, manquant d'agresser nos yeux sensibles. Et pourtant j'étais fasciné par ces reflets chatoyants.

J'avais choisis Source des Âmes comme lieutenante, non pas sur un coup de tête, n'y pensez même pas. En fait, j'avais longuement réfléchis. J'y avais pensé des heures durant, après la mort d'Etoile de Rêve, même si ces songes avaient été côtoyés par ceux, plus sombres, de la mort de la chatte. Et ce fut un jour nuageux que je trouvais le lieutenant idéal. Je me rendais à la Pierre de Lune, et j'étais passé près d'une source. Cela m'avait aussitôt fait pensé à la chatte grise rayée, d'autant plus de l'étrange couleur grisâtre de l'eau, grisâtre comme j’imaginais une Âme. Et j'avais ensuite réfléchie, ajoutant Source des Âmes aux potentiels futurs lieutenants. Et finalement, je l'avais choisie, à cause de sa discrétion et de son calme exemplaire.

Sortant de mes songes, je flairais l'air, mais rien ne me parvins. Je tombais bel et bien sur des empreintes, mais elles n'étaient pas fraîches, et déjà l'odeur en avait disparu. Quand soudain un bruit me parvint. Non loin, un jeune oiseau fouillais la neige, trop occupé pour nous voir. Je fis signe à Source des Âmes de se taire et m'approchais sans bruit. Je bondis, rapidement, en longueur plus qu'en hauteur, mais l'oiseau s'envola. À peine avais-je atteint le sol que je me propulsais vers le haut, de toute mes forces, et attrapais la queue de l'oiseau. Je le tirais jusqu'au sol, posais ma patte dessus et l'achevais d'un coup de crocs. Je revins vers la lieutenante avec l'oiseau.

- On ramène déjà ces proies au camp et on tente notre chance en forêt ou on continue encore ici ? Demandais-je.

Bah Heu oui, hein, les proies n'étaient pas inépuisables, il finirait par ne plus en avoir.

Source des Âmes ne laissa pas paraître sa surprise, mais je la sentais. Elle n'avait pas besoin de paroles, son aura la trahissait. Mais si elle désirait le cacher, c'était son problème, pas le mien ; je ne soulèverai pas la question. Néanmoins, à ma proposition d'aller chasser ailleurs, elle ne mît guère de temps à répondre :

- Tentons notre chance ailleurs, je pense que c'est plus judicieux.

J'acquiesçais d'un signe de tête, et nous nous remîmes en route, revenant sur nos pas. J'emmenais ma proie ; nous ferions un crochet par notre cachette puis par le camp avant d'aller chasser autre part. Nous nous arrêtâmes pour déterrer le lièvre et la mésange, et je me chargeais des deux volatiles pendant que Source des Âmes emportait le lapin. Nous prîmes plus de temps qu'à l'aller pour rejoindre le camp, certainement à cause du poids supplémentaire et la difficulté que donnait un si grand lièvre à être porté, bien qu'il soit maigre. Mais finalement, nous déposâmes nos prises sur le petit tas de gibier. Les Ancien étaient en plein repas, les reines léchaient leurs babines ensanglantées, et les guerriers et leurs apprentis devaient chasser ou être en patrouille. Je demandais à Source des Âmes d'attendre, et filais d'un trot souple jusqu'à l'Antre du Guérisseur pour lui donner le plus gros des deux oiseaux que j'avais attrapé. Ombre de Nuit me remercia chaleureusement, bien content d'avoir enfin un repas, et je pris congé pour rejoindre la lieutenante. Je la rejoignis d'une démarche souple et silencieuse, le soleil jouant avec les reflets de feu dans mon pelage.

- Allons en forêt, nous aurons peut-être la chance de tomber sur un écureuil sorti de son hibernation ou sur quelques oiseaux. déclarais-je.

Je savais qu'elle aurait approuvé ce choix, alors je ne lui avais pas posé la question. Nous sortîmes du camp d'un bon pas, et commençâmes immédiatement notre quête. Nous marchâmes longtemps ; si près du camp, les proies étaient très rares. Mais finalement, je le vis. Il descendait le long de son arbre. J'avertis Source des Âmes de ne pas faire de bruit, et m'approchais tout doucement, mais à peine l'écureuil avait-il posé ses pattes au sol qu'il détala. Je m'élançais aussitôt à sa suite.

Beaucoup de félins auraient trouvé cette course inutile, ils savaient qu'un écureuil fuyant était impossible à attraper sans être au moins deux à le chasser. Mais ce n'était pas mon avis. Je parvenais peu à peu à grignoter la distance qui nous séparait, lui et moi, si bien qu'au moment où il grimpa à un arbre, je bondis contre le tronc, droit sur lui, et l'attrapais. Je bondis au sol, l'animal se débattant dans ma gueule, et lui assenais le coup fatal. Je revins alors vers la lieutenante, le rongeur dans la gueule. Je creusais un trou et l'y enterrais soigneusement.

Source des Âmes ne laissa pas paraître son émotion, mais elle lâcha un petit "Bien joué" avant de se remettre en quête d'une proie. Je ne cherchais pas à l'impressionner, bien sur que non, mais elle semblait toujours tellement impassible, froide... ! Je ne savais d'ailleurs pas pourquoi, mais ce n'était pas un sujet que j'aborderais ; sujet si sensible qu'était le passé. J'étais bien placé pour le savoir.

Source des Âmes se figea soudain, son pelage se hérissant. Je fronçais les sourcils, flairant l'air à mon tour, mais à moi aussi l'odeur tellement redoutée parvenait. Un renard. Mes muscles se tendirent, mon pelage se hérissa. Source des Âmes, elles, ne se mît â cracher que lorsque le goupil sortit des sous-bois. Mais ma réaction à la vue du prédateur fut tout autre que celle de la lieutenante. Le léger feulement qui avait commencé à s'élever de ma gorge s'étrangla, s'éteignit dans un étouffement. Je perdis presque l'équilibre, devant faire quelques pas en arrière pour tenir sur mes pattes. Je connaissais cet animal. Non pas dans le sens amical, mais dans le sens où je l'avais déjà vu autrefois. Ce goupil était un tueur. Et pas n'importe lequel. Il avait tué Pétale de Fée. Comment le reconnaissais-je ? À cette cicatrice, qu'il avait sur l'œil. C'est moi qui la lui avait faite, lorsque j'avais voulu vanger ma compagne. J'avais chassé ce renard de nos terres, mais là où il y a de la nourriture, il y a aussi des chasseurs ; ce renard en était un.

Le moment de surprise passée, je ne prêtais pas plus attention à Source des Âmes qui restait immobile à côté de moi, et m'élançais, crachant de rage. Rassurez-vous, je ne ferais pas le plaisir à ce renard de me jeter dans sa gueule. Lorsque je fus assez proche, je bondis sur le côté pour le désorienter et lui bondis au cou. Mais il recula vivement, et mes griffes crissèrent dans la neige. Je bondis à nouveau, nous engageant, le renard et moi, dans une étrange danse mêlant éclats roux et éclats flamboyants. Parce que oui, le pelage du renard était plus terne que le mien. Il ne parvenait pas à m'atteindre, pas plus que les légers coups de griffes que je parvenais à lui asséner parfois l'handicapaient. Mais il suffit d'un faux mouvement. Un faux mouvement et je me retrouvais face à sa gueule. Je grognais, esquivant de justesse un coup qui m'effleura seulement. Il fallai que je m'éloigne, malgré le déséquilibre qui m'assenait. Je bondis tant bien que mal, atterrissant souplement plus loin, me retournais et assenais un violent coup de griffes au visage du renard. Ce fut seulement à ce moment-là que Source des Âmes intervint.