baptême de Nuage de Neige [PV. Tout ce qu'y veulent du clan de la Foudre]

Seule. Je suis seule. J'ai besoin d'être seule. Allongée au milieu de la Tanière des Apprentis, le museau posé sur les pattes, je réfléchis. A propos de tout. A propos de rien. Et je reste longtemps ainsi, entre la vie et le rêve. Le vent souffle, et chante comme une mélodie à mes oreilles. Les rares feuilles restées accrochées aux arbres tombent, les unes après les autres, et entament un ballet aérien, attirant ainsi mon regard, avant de se poser délicatement sur le sol. Je continue de les observer, chacune leur tour, laissant ainsi mon esprit vagabonder comme bon lui semble dans les méandres de ma pensée. Qui suis-je ? Cette question, à laquelle je n'ai pas et je n'aurais sans doute jamais de réponse, prend peu à peu la place sur tout le reste. Qui suis-je ? Qui suis-je réellement ? Suis-je la fille de Rosée du Matin et d'Aile de Corbeau ? Celle d'Etoile de Rêve et d'Aile du Corbeau ? Suis-je Nuage de Neige, la petite Apprentie insolente ?

Qui suis-je ?

Un mouvement attire mon regard, oiseau noir et blanc volant hors de sa cage, de sa prison qu'est son antre de roche. Je parle bien sûr d'Etoile des Enfers. Les pensées qui lui sont rattachées sont si nombreuses qu'elles envahissent mon crâne, telles des vagues d'informations, abreuvant mon cerveau de souvenirs comme de questions. Je connais Etoile des Enfers depuis longtemps. Depuis que je suis née, en fait. Dès mes premiers jours, je me souviens qu'il passait souvent me voir, cherchant sur mon visage quelque chose qu'il trouvait chaque jour. Et chaque jour, il revenait le chercher. Maintenant, je sais ce qu'il cherchait. Etoile de Rêve. Elle est si présente dans mes traits qu'il devait se demander si ce n'était pas elle. Et chaque jour, inlassablement, il venait vérifier que j'étais là, que je n'étais pas qu'un rêve, qu'elle était toujours en moi. Lors de mon baptême d'Apprentie, j'ai été on ne peux plus surprise qu'il me prenne ainsi sous son aile bicolore, habituée au matou froid et disant que j'ai toujours connu. Et même s'il l'était toujours, il ne pouvait empêcher une pointe de nostalgie de venir percer son ton dur comme la pierre. Lorsque j'ai découvert ce qu'il tramait avec Etoile de Rêve, ce qu'il avait fait et ce qu'il projetait de faire, cela a été comme une déchirure en moi. Car ce chat qui, malgré sa réputation de presque assassin, avait pris soin de moi était devenu comme un frère, comme un père. Et le voir nous trahir... Le voir me trahir... Ce n'était pas de l'amour, non, mais au delà des positions dues au rang de chacun, nous trahissions l'un envers l'autre une affection réelle. Mais nos rapports se sont détériorés, tant et si bien que j'en viens à me demander s'il ne jouait pas le jeu, avec moi. S'il ne faisait pas semblant de m'apprécier. De m'écouter. D'être là pour moi. C'est cela qui m'a fait le plus mal. Puis, quand j'ai découvert qu'il était un tueur, cela a été encore pire. Je n'avais pas l'impression qu'il s'agissait du Etoile des Enfers que j'avais connu. Il était... Différent. Complètement. Ce n'était plus Etoile des Enfers. Non, ce n'était plus lui.

J'ai alors commencé à développer comme une haine envers lui. Je pensais qu'il était devenu... Mon Némésis. Mais je me suis vite rendu compte que cette haine était basée sur le remords que j'éprouvais, le regret d'avoir perdu son affection. Puis j'ai rencontré Etoile de Rêve. Un face à face. J'avais l'impression de voir mon futur. Elle devait voir son passé. C'est lors de cette rencontre que j'appris qu'elle était ma mère. Je n'osais y croire. Jusqu'au jour où elle est passée à deux griffes de la mort. Ce jour là, je me suis rappelée de ce qui était important. Je ne devais plus renier Etoile de Rêve. Elle ne pouvait me mentir. Et puis, personne n'aurait pu nier notre ressemblance. A partir de ce jour, j'ai l'impression que je dois parler à Etoile des Enfers. Parler pour ne rien dire. Ne pas parler pour tout dire. Tenter de retrouver notre complicité passée. Même si cela me paraît impossible. Il faut que j'essaye. Vous trouvez que je suis sentimentale ? Alors vous n'avez jamais connu le lien Mentor/Apprenti. Après celui de la famille, et celui de l'amour, c'est le plus important. C'est sur ce lien que s'est passé mon apprentissage, mon enfance. Et je ne veux pas, je ne peux pas le perdre ainsi. Mais finalement... Etoile des Enfers n'a jamais cherché à s'en prendre ouvertement à moi, à part pour démentir ce dont je l'accusais devant Feuille Mouchetée... Alors que moi, je m'en suis librement pris à lui, autant pour l'accuser que pour le faire culpabiliser. Une idée me travers soudain l'esprit. Une idée cruelle, coupante, mais juste. Je savais que, depuis un mur nous séparait. Ce que je viens tout juste de comprendre, c'est que ce mur, c'est moi qui le construisait.

« Que tout ceux qui sont en âge de chasser s'approche du promontoire pour une assemblée du clan. » Je n'entend pas tout de suite l'appel d'Etoile des Enfers. Soufflée par la découverte que je viens de faire, si on peut appeler ça une découverte, je ne suis en mesure d'entendre, de parler, ou même de bouger. Mon corps se met à trembler sans que je puisse l'arrêter. Je halète comme si j'avais couru jusqu'aux cinq chemins sans m'arrêter, et les larmes me montent au yeux. Qu'ai-je fait ? Pourquoi ? Pourquoi ? Je ne sens plus mes membres, je n'entend ni ne vois plus rien, je ne peux même pas appeler à l'aide. C'est l'appel du meneur, encore en suspension sans l'air, entrant alors dans mes oreilles, qui me soulage quelques peu de cette torpeur. Je m'accroche à cette voix comme si je m'accrochais à la vie. C'est ce message qui me renvoie dans le monde réel. J'ouvre brutalement les yeux -je m'aperçois qu'ils étaient fermés-, et me met debout. Je ne veux plus retomer dans cette horrible torpeur. Il faut que je bouge. « Bah alors, tu viens Nuage de Neige ? » je me tourne vers la voix au timbre innocent. Nuage de Rose [PNJ] a passé sa tête dans la Tanière des Apprentis, sûrement pour vérifier qu'il ne reste pas un Apprenti somnolent. Mais je suis seule. « J'arrive » miaulé-je d'une vois légèrement chevrotante. Si Nuage de Rose s'en aperçoit, elle ne fait aucun commentaire et part vert le Promontoire. Je la suis, trop effrayée à l'idée de redevenir comme j'étais, privée de tous mes sens. Je rejoins Nuage de Rose et un autre Apprenti du nom de Nuage du Bouleau [PNJ]. Etoile des Enfers est perché sur la pierre. Étrangement, il n'a pas l'air à son aise, pas comme d'habitude. Gêné, honteux, triste, mélancolique, je ne saurais dire quelle est l'émotion qui l'habite et qui le déstabilise autant. Mais je suis en tout cas la seule à le voir. Apparemment. Les autres n'ont pas l'air d'avoir remarqué. Tant mieux. Il n'apprécierait pas, je pense.

« Moi, Etoile des Enfers, chef du clan de la Foudre, j'en appelle à nos ancêtres pour qu'ils se posent sur cette apprentie. Cette jeune s'est entraînée dur pour comprendre les lois de votre noble code. Elle est maintenant digne de devenir une chasseur à son tour. » Un baptême. Parfait, cela me fera oublier... Ah, je ne veux pas y repenser. Il faut par contre que je pense à parler à mon mentor à la fin de la Cérémonie. J'ai encore moins idée de ce que je vais lui dire, après ma révélation, mais il faut que je lui parle. Absolument. Aïe. Nuage de Rose me donne des petits coups de patte dans les côtes. « Nuage de Rose, tu me fait mal. Aïeuuuuh ! » « Oups, désolée. Dis, a ton avis, c'est qui l'Apprentie qu'il va baptiser ? » « Et comment veux-tu que je le sache ? » Etoile des Enfers reprend la parole, coupant court toute discussion. Lorsque je relève la tête, je remarque qu'il darde un regard qui se veut sans expression sur moi. J'arrive cependant à distinguer une pointe de nostalgie, de tendresse aussi. « Nuage de Neige promets-tu de respecter le code du guerrier, de protéger et de défendre ton clan au péril de ta vie ? » Pardon ? Attendez... C'est à moi qu'il parle ? Mais... Que... Comment ? Comment est-ce possible ? Alors que j'ai maintes fois tenté de le faire rater ses plans, alors que je l'ai accusé devant Feuille Mouchetée, alors qu'il aurait pu ne jamais me baptiser, il le fait ? Ok,... Problème ! Il y a quelque chose que je ne comprend pas. Pourquoi ? Pourquoi fait-il cela ? « Peut-être parce qu'il tient vraiment à toi, parce qu'il voulait que ce jour arrive ? » me souffle une voix. C'est ça. Il pense surtout qu'il va se débarrasser de moi ! « Ce serait plus simple à comprendre pour toi, n'est-ce pas ? » continue la voix. Ah, tais-toi, tais-toi ! N'empêche... Cela me fait mal de l'avouer, mais elle a raison. Tout serait plus simple si Etoile des Enfers était le grand méchant. Mais ce n'est pas le cas. Il est méchant, certes, mais il y a plus gros danger. Et avant de penser à moi, je dois penser à mon Clan. Etoile des Enfers est fort, bien que trop ambitieux. C'est un bon Chef, inutile de le nier. Pour l'instant, il est celui dont le Clan à besoin. Mais pour l'instant.

Il ne s'est passé qu'une seconde depuis le moment où mon mentor m'a posé la question. Une question toute bête me traverse l'esprit. Si je répond « non », qu'est-ce qu'il est censé faire ? Bon, Nuage de Neige, concentre-toi. Tu n'es pas censé penser à cela. Je me relève et, bien campée sur mes quatre pattes, je miaule d'une voix calme « Oui. »


@Secyloa

Un sourire éclaire momentanément le visage d'Etoile des Enfers. Et, étrangement, il me semble que son sourire est sincère. Comme si ce moment est ce qu'il avait toujours voulu. Le moment où je deviendrais Guerrière. Mais l'a-t-il toujours voulu parce qu'il serait débarrassé de moi, ou parce qu'il m'appréciait vraiment ? Mystère. Il faudra que je lui en touche deux mots. Je ne veux pas rester ainsi dans l'innocence. Mon Mentor penche la tête, et entame les mots que tous les chatons rêvent d'entendre un jour. « Alors, par les pouvoirs qui me sont conférés par le Clan des Etoiles, je te donne ton nom de chasseur. Nuage de Neige, à présent, tu t'appelleras Plume de Neige. Nos ancêtres n'oublieront pas ton courage et ta persévération, et nous t'accueillons dans notre clan en tant que guerrière à part entière. » dit-il d'une voix tendre que je ne lui connaissait pas. Ils a prononcé ces mots presque avec ferveur, et je sais qu'il est vraiment fier de voir que je suis finalement devenue Guerrière, fier du nom qu'il m'a choisi -magnifique d'ailleurs-, fier de moi, tout simplement. Et bien que son visage reste froid et dur, ses yeux me sourient d'un sourire doux, presque juvénile. Le plus beau sourire qu'il m'ait jamais fait. Alors que les autres chats m'entourent pour me féliciter, ronronnant et criant mon nom à qui mieux mieux, j'adresse un sourire étincelant et sincère à celui qui a été mon Mentor, celui qui a été mon frère et mon père. Et grâce à lui, je suis Guerrière. J'ai réalisé mon objectif. Mais pour la première fois depuis longtemps, je ne pense pas à la fierté que mes parents peuvent ressentir, du haut de la Toison Argentée. Non, je pense à moi. Je suis remplie d'un sentiment qui m'étais jusqu'alors inconnu. Le bonheur. Total. Bien sûr, ce n'est pas la première fois que je suis heureuse. Mais avant, ce bonheur, bien que puissant, était obscur et à peine éveillé. Et maintenant je peux vraiment le ressentir. Qui aurait cru que ce serait grâce au machiavélique Etoile des Enfers ?

Mon coeur est prêt d'exploser tellement je me sens fière moi aussi. Je laisse mes yeux vagabonder sur la foule de félins. Une fois que tout ce cirque est fini, les chats s'en vont dans leur Tanière en me souhaitant une bonne nuit de veille. Comme je n'ai pas le droit de parler, je leur répond par des signes de têtes mi-polis, mi-amusés. Lorsqu'Etoile des Enfers descend du Promontoire, j'avance tranquillement vers lui. Et, alors qu'il ne s'y attend sûrement pas, je fourre mon museau dans le pelage de son cou. C'est ma façon silencieuse de dire « merci ». Pour tout. Je monte ensuite sur le Promontoire. Et là, je ressent une impression de puissance et de fierté. Et je sais que c'est ma place. Que je suis destinée à, un jour, être Chef de ce Clan. En attendant ce jour, mieux vaut se concentrer sur le bonheur de l'instant présent. Je m'assied, la queue enroulée autour des pattes, et lève la tête pour regarder le ciel. Les étoiles brillent de milles feux. Et mes parents sont là-haut, je le sais. Un sourire épanoui vient éclairer mon visage. Et oui, c'est ça, la vie. Un bonheur éphémère, des coups de blues, d'autres péripéties en tout genre comme l'amitié, l'amour, la haine... Et un grand "happy end" en général. Pour l'instant, je trouve que je m'en sort plutôt bien. J'ai réussi à déjouer une partie des plans machiavéliques de mon Chef (avant de faire une sorte de trêve avec lui), et ce dernier, alors qu'il aurait pu me punir, m'a tout de même baptisé. J'ai ainsi rendu honneur à ma famille disparue. Et je ne demande rien de plus. Pour l'instant.

@Secyloa